01 Jan 2016
LES SOUFFRANCES PSYCHIQUES OU ENCORE MORALES SONT ELLE PRISES EN COMPTE COMME IL SE DOIT LORS DE L’EXPERTISE MEDICALE ?

L’évaluation des souffrances endurées implique une part de subjectivité.

Cette subjectivité n’est pas nécessairement un obstacle à la juste indemnisation, pour peu que l’analyse médico-légale respecte les méthodes et les principes posés par le droit de la réparation du préjudice corporel.

Les valeurs cardinales qui doivent être respectées par l’ensemble des acteurs sont avant tout :

       Le respect du principe du contradictoire,

       La réparation des seuls préjudices prouvés, et imputables à l’accident,

       La personnalisation de l’évaluation en fonction de la personnalité de la victime et de son environnement matériel et humain.

Depuis que la nomenclature préconisée par le Groupe de Travail de la Commission DINTHILLAC est entrée en phase d’application, nous ne parlons plus en expertise de « pretium doloris » mais de « souffrances endurées » 

Ce terme nouveau est-il le produit d’une modernisation du vocabulaire ou l’affirmation d’une notion nouvelle ?

En théorie, les souffrances endurées appréhendent désormais un aspect plus global des souffrances de la victimes, qui ne se résument plus aux seules souffrances physiologiques, mais à l’ensemble des souffrances endurées, dont les souffrances psychologiques ou morales.

Mais en pratique, la définition plus large des souffrances endurées est-elle concrètement appliquée, et selon quelles modalités ?

Nous en revenons encore à la pratique de l’expertise, trop longtemps délaissées par les avocats, et même par les spécialistes de l’indemnisation du préjudice corporel.

Il est vrai que l’accueil de l’avocat à l’expertise médicale est encore très frileux. Certains médecins s’interrogent toujours sur l’utilité de l’avocat, alors que la victime est déjà assistée par son médecin conseil. Pire, la majorité considèrent que la présence de l’avocat est de nature à compromettre le bon déroulement de la discussion médico-légale.

L’ancien « pretium doloris » comportait déjà une appréciation subjective de la douleur, car il est incontestable qu’une souffrance physique s’accompagne nécessairement d’une souffrance psychique, même si elle n’est pas pathologique.

C’est pourquoi, pour beaucoup d’experts, seul le vocabulaire a changé, et la victime n’est pas spécifiquement interrogée sur la dimension personnelle de sa propre souffrance morale.

Le problème vient donc principalement du fait que les médecins experts conservent encore les coudées franches, et corrélativement leurs routines, dans l’évaluation médico-légale, faute pour les avocats de leur apporter une contradiction suffisante.

Reste à définir ce que doit être une contradiction de qualité, alors même que l’avocat ne dispose pas de compétences médicales.

Dans la réponse, réside à notre sens l’alchimie de la réparation du préjudice corporel.

L’avocat se doit d’apporter une contradiction NON MEDICALE à une évaluation basée sur la science médicale.

Puisqu’il s’agit de débattre des souffrances endurées, on peut reconnaître aux médecins la compétence nécessaire à l’évaluation d’une souffrance physique.

Et encore, la douleur ne peut être ainsi « normée » sans un minimum d’attention pour la personnalité de la victime, qui peut être plus fragile ou plus sensible qu’une autre. (La question de l’indemnisation des souffrances endurées par les enfants mériterait à elle seule une évaluation spécifique).

Au nom de quelles compétences spécifiques les médecins seraient-ils les seuls à pouvoir appréhender les souffrances morales ?

Certes, lorsque la victime se présente avec un des certificats de psychiatres, des rapports de psychologues, les souffrances morales sont alors appréhendées sur pièces.

Ceci explique d’ailleurs que les médecins conseils préconisent systématiquement aux victimes qui les consultent en vue d’une expertise, de s’attacher immédiatement les soins « d’un psy » pour pouvoir fournir des certificats à l’expert ;

Qu’en penser ?

Ceci traduit encore l’approche scientifique du médecin. La doléance d’une souffrance de la victime ne peut être retenue dans la sphère des préjudices imputables qu’à partir du moment ou il existe un diagnostic médical qui l’étaye. Vu sous cet angle, la production de certificats est donc nécessaire, mais ne peut logiquement concerner que les souffrances nécessitant un traitement ou un suivi.

C’est encore l’ostracisme du tout médical qui s’impose, à une époque où la définition des souffrances endurées doit inclure des souffrances qui ne sont pas nécessairement pathologiques.

Prenons un cas concret pour illustrer le propos:

Une victime d’un accident de la route à haute cinétique se retrouve tétraparésique, état qui nécessite un très long processus de rééducation en centre spécialisé.

Le médecin expert va appréhender sans peine les douleurs physiques, liées à l’accident, mais aussi aux soins (interventions, rééducation).

Il s’attache à rechercher, pour se conformer à la nomenclature, les souffrances morales d’une personne qui se trouve hospitalisée durant plusieurs mois, et qui souffre de se voir physiquement diminuée. Il se reporte au dossier médical dans lequel il trouve des prescriptions d’anxiolytiques et antidépresseurs.

Même sans pièces médicales, il admet logiquement un préjudice moral lié au handicap et au contexte d’hospitalisation.

Ceci lui permet de donner aux souffrances endurées une évaluation, fixée à x/7.

L’avocat de la victime doit alors intervenir si nécessaire pour confronter cette évaluation à des informations non médicales :

       La victime n’a eu de place que dans un centre de rééducation éloigné de 50km de son domicile et de sa famille ; Elle y a séjourné un an, sans recevoir des visites régulières.

       Durant son hospitalisation, sa fille a accouchée. Alors qu’elle était grand-mère pour la première fois, elle n’a pas pu accompagner sa fille avant la naissance. Elle n’a pas eu la joie d’être auprès d’elle à la maternité. Lorsqu’elle verra son petit fils, il aura un an.

Tels sont des éléments tout à fait objectifs et prouvables, qui démontrent à notre sens l’existence de souffrances morales spécifiques, propres à la victime, et qui doivent être prises en compte dans son indemnisation.

Finalement, tout le monde est d’accord, car c’est du bon sens.

Mais en pratique, le médecin expert se bornera à noter ces circonstances particulières et sera très réticent pour augmenter son évaluation initiale des souffrances endurées.

Il préfèrera souvent éluder la question en laissant le soin au régleur (l’assureur ou le juge) d’en tenir compte dans son évaluation.

En clair, on continue comme avant, et pour les réclamations, rendez vous au guichet  «assureur » et « Tribunal ».

Malheureusement, au stade de l’évaluation chiffrée du préjudice, l’interlocuteur retiendra quant à lui le taux de souffrance endurées évalué par l’expert, en soulignant qu’il avait la mission d’inclure dans ce taux l’ensemble des composantes des « souffrances endurées » et que les doléances particulières issues du vécu de la victime ont donc déjà été prises en compte.

La nouvelle définition des souffrances endurées reste donc lettre morte dans bien des cas.

 

C’est à l’avocat qu’il revient d’en prendre conscience, et cela doit donc le convaincre de se rendre à l’expertise à chaque fois qu’il existe des spécificités situationnelles chez la victime, pour éviter une telle dérive.

 

 

 

 

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